Alphonse de LAMARTINE
Né à Mâcon le 21 octobre 1790
Mort à Paris le 28 février 1869 (source wikipedia)
L'isolement
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds:
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau au changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
où l'étoile du soir se lève dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encore jette un dernier rayon;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
un son religieux se répand dans les airs;
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charmes ni transports;
je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue
Et je dis; "Nulle part le bonheur ne m'attend"
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé!
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un œil indifférent je suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève
Qu'importe le soleil? je n'attends rien de ces jours
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers:
Mais peut-être au delà des bornes de sa sphère
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux!
Là, je n'enivrerais à la source où j'aspire;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour!
Que ne puis-je porté sur le char de de l'aurore,
Vague objet de mes voeux, m' élancer jusqu'à toi
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien se commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons
Et moi je suis semblable à la feuille flétrie
Emportez moi comme elle, orageux, aquilons!
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