22/06/2017

Tu seras un homme mon fils

    Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
    Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
    Ou perdre en un seul jour le gain de cent parties
    Sans un geste et sans un soupir,
    Si tu peux être amant sans être fou d'amour ;
    Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
    Et te sentant haï sans haïr à ton tour,
    Pourtant lutter et te défendre ;

    Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
    Travesties par des gueux pour exciter des sots
    Et entendre mentir sur toi des bouches folles,
    Sans mentir toi-même d'un mot ;
    Si tu peux rester digne en étant populaire,
    Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois
    Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
    Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

    Si tu sais méditer, observer et connaître,
    Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
    Rêver mais sans laisser ton rêve être ton maître,
    Penser, sans n'être qu'un penseur ;
    Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
    Si tu peux être brave et jamais imprudent,
    Si tu peux être bon, si tu sais être sage,
    Sans être moral ni pédant ;

    Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
    Et recevoir ces deux menteurs d'un même front.
    Si tu peux conserver ton courage et ta tête
    Quand tous les autres la perdront ;

    Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
    Seront à tout jamais tes esclaves soumis
    Et ce qui vaut bien mieux que les Rois ou la Gloire,
    Tu seras un homme mon fils.

    Rudyard Kipling.
    Traduction d'André Maurois, dans "Les Silences du colonel Bramble"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire